CHOPIN / SHUMANN

CHOPIN / SHUMANN

CR43
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1 CD / CHOPIN - SHUMANN / ŒUVRES POUR PIANO / VIATOSLAV RICHTER - ALEXANDER GAUK

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SCHUMANN Robert

 

Concerto pour piano en la mineur op.54

1 Allegro affettuoso                                    14’06’’

2 Intermezzo (andantino grazioso)              4’37’’

3 Allegro vivace                                         10’01’’

 

Sviatoslav RICHTER piano

Moscow Radio Orchestra

Direction Alexander GAUK

1954

 

CHOPIN Fréderic

 

4 Ballade N°2 en fa majeur op.38                7’10’’

5 Ballade N°3 en la majeur op.47                7’16’’

6 Scherzo en si mineur op.20                      8’40’’

7 Nocturne N°3 en sol mineur op.15            5’39’’

8 Nocturne N°1 en sol mineur op.37

Sviatoslav RICHTER piano

1950

 

La mère de Frédéric Chopin, Tekla Justyna Krzyżanowska (1782-1861), est originaire de la petite noblesse de Długie, en Cujavie. Elle a eu une éducation soignée, sait jouer du piano et chanter d'une voix de soprano. Orpheline, elle a été recueillie par la comtesse Ludwika Skarbek, qui possède un petit domaine à Żelazowa Wola, dans le duché de Varsovie. La comtesse est divorcée d'un parent de Justyna. Avant la naissance de Frédéric, la future mère y tient le rôle d'intendante, surveillant les domestiques et les fermiers.

Son père, Nicolas Chopin (1771-1844), est un fils de paysan né en Lorraine, à Marainville-sur-Madon ; son éducation a été assurée par la famille Weydlich, nobles d'origine polonaise qui rentrent dans leur pays en 1787 accompagnés de l'adolescent. Émigré en Pologne dès l'âge de 16 ans et bien intégré dans son pays d'élection, Nicolas Chopin connaît une ascension sociale dans la bourgeoisie intellectuelle. De précepteur des enfants de la comtesse Ludwika Skarbek en 1802, il devient répétiteur de français, puis professeur au lycée de Varsovie, puis vers 1810, à l'école militaire d'application. Leur mariage a lieu à

En 1807, naît Ludwika, puis Frédéric (le 1er mars 1810). Frédéric est seulement ondoyé à la naissance et n'est baptisé que le 23 avril, par le vicaire de la paroisse Saint-Roch de Brochow, Jozef Morawski, qui établit l'acte de baptême ; le même jour, le curé, Jan Duchnowski, établit l'acte de naissance, en tant que « fonctionnaire de l'état civil de la commune paroissiale de Brochow, département de Varsovie ».

Ils déménagent à Varsovie quelques mois après la naissance de Frédéric. Ils habitent d'abord dans l'ancien palais de Saxe, qui abrite le lycée, et ouvrent un pensionnat pour les fils des riches familles terriennes. Deux autres filles naissent en 1811 et 1812. En 1817, la famille déménage avec la pension au palais Kazimierz, en même temps que le lycée de Varsovie.

Les parents de Frédéric achètent rapidement un piano, instrument en vogue dans la Pologne de cette époque. Sa mère y joue des danses populaires, des chansons ou des œuvres classiques d'auteurs comme le Polonais Ogiński. Les enfants sont initiés très tôt à la musique.

Frédéric se révèle précocement très doué. Il n'a que 6 ans lorsque ses parents décident de confier sa formation à un musicien tchèque, Wojciech Żywny, violoniste qui gagne sa vie en donnant des leçons de piano chez les riches familles de Varsovie. Il a probablement été formé par un élève de Bach à Leipzig. Ce professeur est original ; il apprécie surtout Bach, alors peu connu, Mozart et Haydn, c'est-à-dire des compositeurs d'une autre époque. Il est sceptique vis-à-vis des courants contemporains comme le « style brillant » d'un Hummel, alors très en vogue. Une spécificité de Żywny est de laisser une grande liberté à l'élève, sans imposer de méthode particulière ou de longues heures d'exercices abrutissants. Que le professeur de piano du musicien ait été un violoniste de métier fait parfois dire que « Chopin a pratiquement été autodidacte ». Si toute sa vie, Le Clavier bien tempéré sera considéré par Chopin comme la meilleure introduction à l'étude du piano, ses premières compositions sont plus dans l'air du temps. En 1817, il compose deux polonaises inspirées des œuvres d'Ogiński. Le langage harmonique est encore pauvre, mais la subtilité et l'élégance, qui caractériseront plus tard les œuvres du maître, sont déjà latentes.

Comme le fait remarquer le compositeur André Boucourechliev, « les gens ne rêvent que de petits pianistes » ; à l'âge de 8 ans, Frédéric a tout de l'enfant prodige. Si les comparaisons avec Mozart ne manquent pas, les situations sont néanmoins différentes car Nicolas Chopin n'a rien d'un Leopold Mozart. Frédéric se produit fréquemment dans les cercles mondains de l'aristocratie de Varsovie, « mais jamais son père n'en retirera un sous . À 8 ans, le musicien joue avec un orchestre et cette prestation est évoquée dans la presse locale. Il joue souvent devant le grand-duc Constantin, frère du tsar, une fois devant la célèbre « cantatrice Catalani qui lui donna en souvenir une montre en or » et à partir de 1818 le « petit Mozart » est déjà célèbre à Varsovie. Le musicien gardera toute sa vie un goût prononcé pour la politesse et la sophistication de la vie aristocratique à laquelle il a été initié dès son plus jeune âge.

Le jeune Chopin grandit « comme dans un berceau solide et moelleux », dans une atmosphère aimante et chaleureuse où il développe un caractère doux et espiègle, sous le regard affectueux de sa mère qui, au dire de George Sand, « sera la seule passion de sa vie ».

Si la mère Justyna est une figure clé de la petite enfance de Frédéric, son père joue un rôle majeur durant les années de lycée. Nicolas lui apprend l'allemand, le français et, quand Frédéric le souhaite, il dispose dans cette langue d'un « joli coup de plume » comme en témoigne une lettre à George Sand : « Votre jardinet est tout en boules de neige, en sucre, en cygne, en fromage à la crème, en mains de Solange et en dents de Maurice ». La position sociale du père est devenue celle d'un intellectuel établi et, tous les jeudis, Frédéric voit défiler des figures intellectuelles phares du Varsovie de l'époque comme l'historien Maciejowski, le mathématicien Kolberg, le poète Brodziński et les musiciens Elsner, Jawurek ou Würfel.

En 1822, Żywny n'a plus rien à apprendre au jeune Chopin et le Tchèque Václav Würfel devient son professeur d'orgue. À l'opposé de Żywny, ce professeur est un tenant du « style brillant » : « la musique de style brillant s'éloignait considérablement des modèles et idéaux classiques et apportait le souffle d'une esthétique et d'un goût nouveaux. Les procédés du jeu virtuose, inconnus jusqu'alors et introduits à présent… ». Elsner, directeur du Conservatoire, dans la même mouvance que Würfel, donne de temps en temps à Frédéric des cours d'harmonie et de théorie des formes musicales. Ce style fascine le jeune musicien, qui, en 1823, interprète des concertos de style brillant de Field et de Hummel dans le cadre de concerts de bienfaisance67. Cette influence est aussi visible dans ses compositions, par exemple les Variations en mi majeur, composées durant ces années de lycée.

Juste après la première publication du Rondo opus 1 chez Brzezina & Cie au début de 1825, Chopin est mentionné pour la première fois dans la presse internationale, à la suite d'un concert de bienfaisance, le 10 juin. Il joue sur un aelomelodicon (ou aelopantaléon), sorte d'harmonium aux tuyaux de cuivre ; d'abord un allegro de concert de Moscheles, puis il improvise :

« Le jeune Chopin s'est distingué dans son improvisation par la richesse de ses idées musicales et, sous ses doigts, cet instrument qu'il maîtrise parfaitement produisit une impression profonde »

— Allgemeine musikalische Zeitung.

C'est à l'occasion des vacances, passées dans la campagne polonaise, que Frédéric prend conscience de la richesse du patrimoine de la musique populaire. Il passe plusieurs étés à Szafarnia en Mazovie et participe à une noce et à des fêtes des moissons. Dans ces occasions, il n'hésite pas à prendre un instrument. Il transcrit les chansons et danses populaires avec le soin et la passion d'un ethnologue. Il parcourt les villages et les bourgs des environs à la recherche de cette culture et va jusqu'à payer une paysanne pour obtenir un texte exact. Sa passion ne se limite pas à la Mazovie, puisque sa Mazurka en si bémol majeur de 1826 intègre des formules rythmiques de la région d'origine de sa mère, la Cujavie.

Selon André Boucourechliev, à travers à la fois l'intelligentsia à laquelle son père lui donne accès, la campagne populaire et l'amour maternel, « construit Polonais, Frédéric n'avait pas à hésiter sur son appartenance : pour lui, comme pour sa famille, les jeux étaient faits ». Et, comme le remarque la biographe Marie-Paule Rambeau, « c'est seulement après dix-huit ans d'exil que Frédéric dira qu'il s'est attaché aux Français comme aux siens ».

Une vue du faubourg de Cracovie où se trouvait le conservatoire de Varsovie entre 1819 et 1831. Il est situé dans le monastère à gauche. Chopin fréquente les lieux pour ses cours et les concerts jusqu'en 1829. La toile de Marcin Zaleski (1796–1877) est datée de 1838. Le bâtiment a été démoli dans les années 1840. (Musée national de Varsovie).

À l'automne 1826, le musicien amateur quitte le lycée pour la Haute École de Musique de Varsovie (Główna Szkoła Muzyki, actuelle université de musique Frédéric-Chopin), qui sous la direction de Józef Elsner appartenait au département des Beaux Arts de l' Université de Varsovie. Il y fait la rencontre d'Ignacy Feliks Dobrzyński, son condisciple également très doué, et suit à l'université les cours de l'historien Bentkowski ainsi que ceux du poète Brodziński. À cette époque, la querelle littéraire entre les partisans d'une esthétique classique et les romantiques fait rage à Varsovie. Le poète choisi par Frédéric représente la modernité, à l'opposé du professeur Ludwik Osiński. Pour Brodziński, l'artiste « agit toujours mieux lorsqu'il met à profit l'inspiration, lorsqu'il se montre moins sévère envers certains écarts, … Qu'il laisse le sentiment se déverser et l'écarte ensuite, tel un juge froid, pour polir son œuvre, la compléter et la corriger… ». Pour Boucourechliev, « telle exactement sera la méthode de composition de Chopin — conforme à son tempérament à la fois spontané et amoureux de la perfection… ». L'influence du cours de littérature ne se limite pas à sa position sur le romantisme. Dans un pays de plus en plus bâillonné par l'autoritarisme russe, la création d'un art national est une préoccupation du poète, partagée par Elsner, ainsi que par de nombreux intellectuels polonais. Brodziński précise : « … je répète que les œuvres des génies, dépourvues de sentiments patriotiques, ne peuvent être sublimes… ».

À la Haute École de Musique le jeune musicien apprend la rigueur dans la composition. En 1828 Chopin écrit sa première sonate, en ut mineur. Cette obsession de maîtriser parfaitement les techniques de son art dans une œuvre monumentale conduit à des faiblesses et « tout ici l'emporte sur la spontanéité de l'inspiration qui saisit l'auditeur dans les autres œuvres du jeune compositeur ». À la même époque, le musicien compose deux polonaises, en ré mineur et en si bémol majeur qui « expriment une envie spontanée de composer », mais « elles ont toutefois recours à des fonctions tonales très simples ». C'est néanmoins vers cette époque, que Chopin atteint sa maturité avec des œuvres comme les Variations en si bémol majeur sur le thème de Là ci darem la mano du Don Giovanni de Mozart, à l'origine d'un célèbre article de Schumann qui utilise l'expression « chapeau-bas messieurs, un génie ! ». C’est aussi dans cette période que le musicien parvient à intégrer dans des œuvres déjà matures, une sensibilité polonaise, avec par exemple un Rondeau de concert à la Krakowiak, terminé en 1828, ou son Nocturne no 20, dédié à sa sœur aînée Ludwika Chopin.

Une tragédie marque profondément son âme slave. Sa cadette Emilia, atteinte par la tuberculose, meurt en deux mois le 10 avril 1827. C'est probablement à ce moment que Chopin contracte la maladie qui ne le quittera jamais.

Cette période est aussi celle des premiers sentiments amoureux. Lorsque le compositeur écrit à Tytus : « J'ai, peut-être pour mon malheur, trouvé mon idéal, je le vénère de toute mon âme. Il y a déjà six mois que j'en rêve chaque nuit et je ne lui ai pas encore adressé la parole », il évoque la cantatrice qui poursuit ses études au conservatoire, Constance Gladkowska, à qui il ne se déclarera jamais. Il se contente d'assister à ses cours, de l'accompagner au piano et d'assister à ses débuts dans Agnese (Agnès) de Paër, avec musicalement, quelque lucidité : « n'était-ce le la-dièse et le sol naturel, nous n'aurions rien de meilleur dans le genre ».

Pour Boucourechliev, « rien n'est plus révélateur de sa personnalité que cette passive contemplation amoureuse ». Le musicologue se demande si cet amour sublimé « n'a pas été le plus beau des prétextes à l'essor de ce lyrisme … et si Chopin… n'a pas entièrement admis que le seul prolongement de son amour pût se trouver dans son œuvre ». Il compose pour elle, la valse en ré-bémol majeur (op. 70 no 3), ci-dessous.

D'autres éléments ont contribué à faire de l'enfant prodige un musicien professionnel reconnu. Varsovie propose au jeune Chopin de nombreux concerts et opéras, qu'il suit attentivement. Il entend la pianiste Maria SzymanowskaLe Barbier de Séville, dont il critique violemment la représentation — « J'aurais assommé Colli. Il chantait faux, cet Arlecchino italiano ; il chantait faux à faire peur ! » — ou Paganini. Cette découverte de la modernité n'est pas sans influence sur ses goûts : « Chopin veut réunir au piano les deux points les plus extrêmes de tout le jeu instrumental jusqu'à présent. Il vise à faire fusionner en un tout l'élément didactique issu de l'esprit formateur d'un Bach avec l'incandescence passionnée et le défi technique de Paganini ». Après le conservatoire, où il a pourtant appris la composition d'orchestre, Chopin devient « le seul génie musical du xixe siècle à s'être délibérément et exclusivement consacré à son médium », le piano.

À la fin de cette période, Chopin désire donner de véritables concerts publics rémunérés. Le premier, où il improvise, a lieu le 19 décembre 1829. Le 17 mars 1830, il en donne un second avec, au programme, son Concerto en fa mineur. Chopin est déjà reconnu : le concert est donné à guichet fermé. Cinq jours plus tard, le compositeur se produit de nouveau en public, avec le même concerto et le Rondeau de concert à la Krakowiak. Le Décaméron polonais du 31 mars indique : « M. Chopin est un véritable phénomène. Tous admirent avec enthousiasme le talent exceptionnel de ce jeune virtuose, certains même voient en lui un nouveau Mozart ». Le 11 octobre de la même année, le compositeur donne un grand concert d′adieu à sa ville.

Pour Chopin, l'essentiel en effet ne se joue plus à Varsovie. En 1829, il déclare : « que m'importent les louanges locales ! Il faudrait savoir quel serait le jugement du public de Vienne et de Paris ». Depuis l'âge de 18 ans, il supporte de moins en moins le « cadre étroit de Varsovie ». Un premier voyage à Berlin est organisé en septembre 1828 avec le scientifique et professeur de zoologie Feliks Jarocki, ami de Nicolas qui assistait à un congrès de naturalistes. Mais le séjour s'avère décevant : ni concert ni rencontre intéressante. Cependant, pendant ces quinze jours, il va cinq fois à l'opéra, il y savoure la musique de Cimarosa (Le mariage secret), Spontini (Cortez), Onslow (Le Colporteur) et Weber (Der Freischütz), bien que déçu par les mises en scènes et l'interprétation; mais c'est surtout l'exécution de l’Ode à sainte Cécile de Haendel qui l'emballe et « s'approche de l'idéal de la grande musique » dit-il dans une lettre à ses parents.

Après son retour à Varsovie, il entend de nouveau Hummel et pour la première fois Paganini au théâtre national l'été suivant. Il se rend à plusieurs des dix concerts que l'italien y donne : il est abasourdi par l'extrême virtuosité. Le 19 juillet un banquet est donné en l'honneur du violoniste et Elsner lui remet une tabatière portant l'inscription : « Au chevalier Niccolò Paganini, les admirateurs de son talent ». Dans la foulée des concerts, Chopin compose une paraphrase assez fade intitulée souvenir de Paganini, publié seulement en 1881 et, sous le choc de « cet univers de la virtuosité transcendante » de l'Italien, commence à écrire les premières études de l'opus 10 : les numéros 8 à 11. Les concerts suivants auxquels il assiste, donnés par Heller et Lipiński, ne font que souligner le génie de Paganini.

Encouragé par Elsner, il se rend une première fois à Vienne (31 juillet–19 août 1829) et y « fait fureur . Ce court voyage ne lui suffit pas. Comme au Hongrois Liszt, le métier d'artiste impose à Chopin une carrière internationale et Constance Gladkowska lui écrit : « Pour faire la couronne de ta gloire impérissable, tu abandonnes les amis chers et la famille bien-aimée. Les étrangers pourront mieux te récompenser, t'apprécier ». Ce n'est cependant pas sans appréhension qu'il quitte sa terre natale et il écrit à Tytus : « Lorsque je n'aurai plus de quoi manger, tu seras bien forcé de me prendre comme scribe à Poturzyn .

Le 2 novembre 1830 Chopin quitte Varsovie en direction de Kalisz  et il quitte la Pologne le 4 novembre en direction de Breslau (ville allemande en Silésie, aujourd'hui Wrocław en Pologne). Le musicologue Boucourechliev s'interroge : « Malgré le zèle nationaliste de ses thuriféraires polonais, poussé à l'excès (et toujours cultivé), malgré les déclarations et les pleurs sur la patrie occupée, malgré sa famille, restée là-bas, qui dut venir un jour à Carlsbad pour revoir son glorieux rejeton, Chopin ne mit jamais plus le pied en Pologne… Pourquoi cet abandon — pour ne pas dire ce refus obstiné? »

Passé par Dresde et Prague, Chopin arrive à Vienne pour son second séjour, avec son ami Tytus le 23 novembre 1830, espérant renouer avec le succès de son précédent voyage. Les premiers jours sont heureux : il rencontre le compositeur Hummel, le facteur de pianos Conrad Graf, le médecin impérial Malfatti (et dernier médecin de Beethoven) dont l'épouse est polonaise ; il assiste à plusieurs opéras1 : La clémence de Titus de MozartGuillaume Tell de Rossini et Fra Diavollo d'Aube. Il rencontre le violoniste virtuose Josef Slavík, qu'il compare à Paganini: « À part Paganini, je n'ai jamais rien entendu de comparable, quatre-vingt-seize staccati d'un seul coup d'archet : incroyable ! » et avec qui il joue. Ensemble, ils travaillent le projet d'un cycle de variations sur un thème de Beethoven pour violon et piano, écrit conjointement, dont Chopin aurait composé l'Adagio. Mais il ne reste nulle trace de la partition.

Plusieurs éléments concourent ensuite à rendre la vie du musicien difficile, en particulier l'évolution politique en Pologne. L'agitation révolutionnaire — après la France (en juillet) et la Belgique (en octobre) — atteint la Pologne qui se révolte contre la tutelle russe : l'insurrection débute le 29 novembre. Tytus quitte Chopin pour la rejoindre ; le virtuose se trouve en proie à une solitude, mêlée d'un sentiment d'impuissance patriotique poussé à son paroxysme. Les Autrichiens ne sont guère favorables aux Polonais : « il n'y a rien à tirer de la Pologne qui sème le « désordre ».

De plus, les Viennois, sous le charme des valses de Strauss, sont insensibles à la poésie du Sarmate. Il ne faut pas moins de sept mois passés à Vienne pour que Chopin puisse participer à un concert, sans rémunération (le 11 juin 1831 au Kärtnerthor-Theater). La critique loue ses qualités de virtuose, mais reste sceptique vis-à-vis de son Concerto pour piano et orchestre no 1 en mi mineur : « L'œuvre ne représentait rien de singulier, mais le jeu de l’artiste fut unanimement loué ».

La reconnaissance du public n'est pas au rendez-vous avec Chopin, « Mais il s'était attelé à une tâche immense qui lui tint lieu de succès public : c’étaient les Études op. 10, conçues pour la plupart à Vienne, et le début de celles de l′op. 25, chefs-d’œuvre d'un artiste de vingt-et-un ans » Pour créer son propre univers sonore dans cette œuvre didactique, le musicien s'inspire de Bach pour les deux premières études et de Mozart pour l’Étude no 6. En raison des événements polonais, la dizaine d'œuvres composées à Vienne manifestent « un engagement psychique majeur […] celui que l'on connaîtra désormais : musicien du déchirement, portée à la violence, bouleversant les cadres hérités ». Il en est ainsi du premier Scherzo, en si mineur livrant les deux visages de Chopin : rafale et berceuse, « le déchaînement de la haine et le comble de la tendresse, un thème sauvage et une harmonie paisible, comme immobile ».

Dégoûté et à court d'argent, Chopin quitte Vienne le 20 juillet 1831 pour tenter sa chance à Paris. L'ambassade russe à Vienne — légalement Chopin est citoyen russe — a d'abord refusé un passeport pour la France puis en accorde un « pour Londres, via Paris ». Le voyage se fait par Salzbourg, Munich, où il donne un concert, et Stuttgart où il séjourne au début de septembre. C'est là que, le 8, il apprend la nouvelle de la chute de Varsovie, sans savoir ce qu'il advient de sa famille. Cette situation n'est pas sans influence sur l'artiste : « Le Journal, tenu alors par Chopin à Stuttgart, serait-il un commentaire verbal de l’Étude — no 10 — : « Ô Dieu, Tu es là ? – Tu es là et Tu ne Te venges pas ! – Pour Toi, il n'y a pas encore assez de crimes moscovites — ou bien — ou bien Tu es moscovite toi-même. »

Le contexte politique parisien est favorable à la cause polonaise. De nombreux émigrés ont rejoint cette capitale et les plus importants forment une communauté que fréquente le musicien dans les salons de l'hôtel Lambert, dans l'île Saint-Louis ; il devient aussi membre de la Société littéraire polonaise et donnera même en 1835 un concert de bienfaisance au profit des réfugiés. Il n′est cependant pas vraiment militant et le tapage des manifestations le dérange : « Je ne puis te dire la désagréable impression que m′ont produite les voix horribles de ces émeutiers et de cette cohue mécontente ».

Les Polonais le lancent dans la capitale ; le musicien donne des leçons de piano à la comtesse Potocka, et grâce à son aide et à celle de Valentin Radziwill, il devient le professeur de piano « élégant » de l'aristocratie polonaise en exil et des milieux parisiens les plus fermés. Dès mars 1832, il déménage dans la petite cité Bergère, plus calme et plus adaptée. Cette activité, à laquelle il consacre le quart de son existence, est bien rémunérée (il prend vingt francs-or de l'heure), et lui assure l'aisance matérielle. Elle lui ouvre aussi la porte du monde aristocratique, qui l'accueille comme un ami et où il se sent bien : « Je fais partie de la plus haute société, j'ai ma place marquée au milieu d'ambassadeurs, de princes, de ministre, […] Et cependant c'est là aujourd'hui une condition presque indispensable de mon existence ; car c'est d'en haut que nous vient le bon goût ». En 1836, il déménage au 38, rue de la Chaussée-d'Antin, « la vitrine du nouveau régime où l'aristocratie de l'argent remplaçait celle des titres ».

Durant cette période qui suit la bataille d'Hernani, les romantiques sont actifs dans tous les domaines. Victor Hugo écrit Notre-Dame de Paris (1831), Le roi s'amuse (1832) et Balzac écrit ses œuvres majeures, tandis que Delacroix innove et traduit le romantisme en peinture. En musique, Berlioz est le chef de file des romantiques. Dans ce domaine, la première place est néanmoins tenue par l′art lyrique, avec pour vedette Rossini. Le piano est pratiqué par les plus grands virtuoses : Liszt et Kalkbrenner habitent la capitale. Avec d'autres brillants interprètes comme HillerHerz ou Pleyel, ils font de Paris la capitale du monde pianistique.

Chopin y est, dans un premier temps, un auditeur infatigable. Il découvre Le Barbier de Sévillel'italienne à AlgerFra Diavolo ou encore Robert le Diable, qui le laisse bouleversé : « Je doute qu'on ait atteint jamais au théâtre, le degré de magnificence auquel est parvenu Robert le Diable ». Le musicien rencontre rapidement Kalkbrenner et son admiration n'a pas de mesure : « Tu ne saurais croire comme j'étais curieux de Herz, de Liszt, de Hiller, etc. Ce sont tous des zéros en comparaison de Kalkbrenner ». Cette rencontre lui permet de donner un premier concert le 25 février 1832. Il ne fait pas salle comble et le public est surtout formé par des Polonais, mais la critique n'est pas mauvaise. François-Joseph Fétis écrit dans la Revue musicale : Son « Concerto a causé autant d'étonnement que de plaisir à son auditoire, […] Trop de luxe dans les modulations, du désordre dans l'enchaînement des phrases… ». Il se produit de nouveau les 20 et 26 mai et la critique devient plus élogieuse : « Monsieur Chopin est un très jeune pianiste qui, à mon avis, deviendra très célèbre avec le temps, surtout comme compositeur ». Cette période est riche en concerts donnés par le musicien. Si, en 1833, le compositeur-pianiste est encore un soliste étranger dans la capitale, l'année 1834 est celle de la transition et lors de son concert du 25 décembre, il est devenu, pour la critique spécialisée, l'égal des plus grands.

Dans son livre Soixante ans de souvenirsErnest Legouvé indique : « Je ne puis mieux définir Chopin, en disant que c'était une trinité charmante. Il y avait entre sa personne, son jeu et ses ouvrages un tel accord… ». Chacune des composantes de cette trinité est un sésame qui ouvre au musicien la porte à des amitiés qu'il gardera parfois toute sa vie.

Depuis son plus jeune âge, le polonais fréquente l'aristocratie. Il a intériorisé ses règles, sa politesse et son savoir vivre : « le soin et la recherche de sa toilette faisaient comprendre l'élégance toute mondaine de certaines parties de ses œuvres ; il me faisait l'effet d'un fils naturel de Weber et d'une duchesse… » L'amitié entre la comtesse Delfina Potocka, réputée très belle, riche et protectrice, et le musicien est fondée sur un sentiment de respect et d'estime mutuel. Cette affinité entre le musicien et le milieu aristocratique favorise une expression de la dimension artistique de Chopin dans les salons : « Sans qu'on puisse étiqueter Chopin comme compositeur de salon […], c'est pourtant le salon parisien dans ce qu'il a de meilleur sous Louis-Philippe qui représente par excellence le lieu et les milieux où il a rencontré la plus vive adhésion ». Comme bien d'autres, le marquis de Custine est sous le charme : « Je lui avais donné pour thème le Ranz des vaches et la Marseillaise. Vous dire le parti qu′il a tiré de cette épopée musicale, est impossible. On voyait le peuple de pasteurs fuir devant le peuple conquérant. C'était sublime ». La mondanité de Chopin est à l′origine d′un stéréotype : « le poète décadent des chloroses et des névroses » ou encore « l'incarnation du rubato, favori des jeunes filles de pensionnats », même si le public des salons n'est pas toujours victime de cette interprétation facile.

L’homme du monde est indissociable du virtuose. Le quasi-autodidacte a développé dans son enfance une technique propre dont la concentration auditive et la décontraction musculaire sont les postulats. Cette virtuosité, si différente des puissantes interprétations d’un Liszt, subjugue l'univers pianistique parisien et en premier lieu Kalkbrenner. Liszt et Hiller tombent rapidement sous le charme : « Personne n'a jamais mû de la sorte les touches d’un piano ; personne n'a su en tirer les mêmes sonorités, nuancées à l'infini ». Ce touché unique est à l'origine d'une amitié profonde avec le fabricant de pianos Camille Pleyel. Le virtuose précise : « Quand je suis mal disposé […], je joue sur un piano d'Erard et j'y trouve facilement un son tout fait ; mais, quand je me sens en verve et assez fort pour trouver mon propre son à moi, il me faut un piano de Pleyel ». Pleyel ne se remettra jamais totalement de la mort de son ami.

Chopin est aussi un compositeur et « Liszt s’enthousiasma avant tout pour les œuvres de Chopin : mieux que quiconque, il comprit leur nouveauté et leur originalité, et devint aussitôt un de ses fervents admirateurs ». Durant cette époque, où la guerre entre les classiques et les romantiques est ouverte, Chopin est de plain-pied dans la modernité. Berlioz, qui comprend sa musique alors que Chopin ne comprend pas la sienne, se lie d'amitié avec le poète sarmate. Avec Liszt, Mendelssohn et Hiller, ces deux compositeurs forment la tête de pont du romantisme musical parisien. Ils se rencontrent fréquemment dans une ambiance informelle, comme le montre ce petit mot de Berlioz « Chopinetto mio, si fa una villegiatura da noi, a Montmartre rue St. Denis ; spero che Hiller, Liszt e de Vigny seront accompagnés de Chopin. Énorme bêtise, tant pis. HB ». D'autres artistes, de passage à Paris, se lient d'amitié avec le Sarmate. Schumann lui voue une admiration sans limite et « On sait que Bellini et Chopin, écrivait Schumann, étaient amis et que, se communiquant souvent leurs compositions, ils ne sont pas demeurés sans influence artistique l'un sur l'autre ». Les amitiés artistiques de Chopin dépassent le cadre de la musique. Delacroix devient l'un de ses plus proches amis en 1835 :

« J’ai des tête-à-tête à perte de vue avec Chopin, que j’aime beaucoup, et qui est un homme d’une distinction rare : c’est le plus vrai artiste que j’aie rencontré. Il est de ceux, en petit nombre, qu’on peut admirer et estimer. »

Balzac est aussi un admirateur : « Il trouva des thèmes sublimes sur lesquels il broda des caprices exécutés tantôt avec la douleur et la perfection raphaélesque de Chopin, tantôt avec la fougue et le grandiose dantesque de Liszt, les deux organisations musicales qui se rapprochent le plus de celle de Paganini. L'exécution, arrivée à ce degré de perfection, met en apparence l'exécutant à la hauteur du poète, il est au compositeur ce que l'acteur est à l'auteur, un divin traducteur des choses divines ».

Cette période est marquée par un épisode sentimental, qui - dit-on - rappelle celui qu'il a vécu avec Constance Gladkowska, mais qui est, selon Boucourechliev, bien moins important que les amitiés nouées à cette époque.

Entre 1831 et 1835, Chopin, aux yeux de la loi française, est un Polonais résidant à Paris, avec un permis de séjour précisant qu'il a quitté la Pologne avant l'insurrection et qu'il est de père français À partir de 1835, il obtient la nationalité française à part entière, et est déclaré de père et de mère française. À la différence des Polonais, il n'a plus besoin d'entrer en communication avec l'administration russe pour voyager ailleurs qu'en Pologne.

Pendant l’été 1835, sur le conseil de son ami Jan Matuszyński, qui habite avec lui Chaussée-d’Antin no 5 de 1834-1836 Chopin se rend à la station thermale d'Enghien avec Vincenzo Bellini et où, non loin, se trouvent ses amis le marquis de Custine et Delfina Potoka. C'est à Enghien, en juillet 1835, qu'il apprend que ses parents sont à Carlsbad en Bohême, où ils sont venus en cure. Il s'y rend (dix jours de voyage) et la famille se retrouve par surprise réunie à la mi-août : « Notre joie est inexprimable ! Nous nous embrassons et nous nous embrassons encore », écrit le compositeur à la suite d'une lettre de Nicolas à ses filles, toutes deux mariées et restées à Varsovie.

Après trois semaines, ils se rendent au château de Děčín, du comte Franz von Thun-Hohenstein. Ses parents repartent pour la Pologne et Chopin y reste une semaine de plus, jusqu'au 19 septembre. À la suite de ces retrouvailles familiales, Chopin cache sa crise : « Le premier jour il n'y avait pas moyen de l'aborder tant il était triste de s'être séparé de ses parents, repartis pour Varsovie ; mais cela nous plaisait, qu'il voulût être laissé à sa douleur, c'était tout naturel » écrit Anne de Thun-Hohenstein, l'une des filles de Franz, dans son journal.

Sur le retour pour Paris, il rejoint Dresde et passe une semaine chez la famille Wodziński dont les fils étaient ses camarades de jeux à la pension de ses parents. On dit, que le musicien tombe amoureux de leur jeune sœur de 16 ans, Marie. « Elle n'était point une beauté » mais, malgré son jeune âge, elle a déjà séduit le poète Juliusz Słowacki, ainsi que le comte de Montigny Au bout d'une semaine, Chopin quitte les Wodziński et un amour inavoué et épistolaire, que Boucourechliev qualifie « d’imaginaire », se développe. Marie ne lui inspire « rien qu'une petite valse, écrite à la va-vite en des temps plutôt heureux », sa Valse de l'Adieu, en la bémol majeur, op. 69 no 1.

Le 16 septembre, il est à Leipzig pour la journée. Il y retrouve Mendelssohn, tout juste nommé à la tête du Gewandhaus, et Schumann devant lequel il joue le Nocturne en mi-bémol majeur. Il rend visite aussi à Clara Wieck qui interprète deux études et sa sonate en fa dièse mineur. Schumann note dans la Neue Zeitschrift für Musik « Le style de son jeu est, comme celui de ses œuvres, unique ; son jeu m'a profondément captivé… Je ne crains pas de l'appeler un virtuose consommé… J'ai éprouvé un plaisir extrême à rencontrer enfin un vrai musicien. Il nous a fait connaître quelques-unes de ses nouvelles Études. » Puis, fatigué, obligé à quelque repos, il s'arrête à Heidelberg et se rend chez le père de son élève Adolf Gutmann. Il arrive à Paris le 15 octobre, où il apprend la mort de Bellini.

L’été suivant, fin juillet, Chopin retrouve la jeune fille à Marienbad. On dit, que la veille de son départ, Chopin finit par demander sa main, Marie accepte, mais se soumet à la décision de sa mère ; celle-ci ne s'oppose pas catégoriquement, tout en exigeant le secret — le père n'étant pas mis au courant. Mais il n’y existe aucune preuve solide pour cette histoire. Pour Boucourechliev, « le reste est hypocrisie épistolaire de la mère, acceptation passive de ses atermoiements par sa fille » : cela se termine par une rupture en mars 1837 (le retour en Pologne de la famille Wodziński peut aussi avoir joué un rôle déterminan). Il conclut : « on ne peut s'empêcher de la comparer à une autre fille, sensiblement du même âge, qui vivait non loin, à Leipzig, et qui se sera battue de toutes ses forces pour s'unir à l'homme qu'elle aimait : Clara Wieck, bientôt l'épouse de Schumann ». Dès 1836, et jusqu'à 1838, Julian Fontana habite avec lui Chaussée-d'Antin.

Cette période est finalement la plus sereine132 de l’existence de Chopin : il vient de revoir ses parents, il est célèbre, il n'a jamais été en meilleure santé162. Il apprécie une vie mondaine qui n'est pas sans conséquence sur son activité de compositeur. Il termine son cahier d’Études op. 25, quelques Nocturnes, la première Ballade, une vingtaine de Mazurkas, deux Polonaises et cinq Valses : un travail léger et brillant, coloré d'insouciance.Au cours de ces années, Chopin donne peu de concerts, mais a de nombreuses représentations pianistiques dans différents contextes.

Il convient tout d'abord de mentionner l'hommage rendu en avril 1839, à Marseille, au ténor Adolphe Nourrit, décédé le mois précédent en Italie. Lors de la messe de requiem célébrée pour le défunt, Chopin joue à l'orgue de Notre-Dame-du-Mont Les Astres, un lied de Franz Schubert.

Au mois d'octobre de la même année, le roi Louis-Philippe, curieux d’entendre le Polonais, l'invite avec le pianiste Ignaz Moscheles à Saint-Cloud. En présence du roi, de la reine Marie-Amélie, de madame Adélaïde et de la duchesse d'Orléans, épouse de Ferdinand-Philippe d'Orléans (1810-1842), le fils aîné du roi, Chopin joue avec Moscheles ses Études, ses Nocturnes et une sonate à quatre mains de Mozart. Plus qu'un succès, c'est un véritable triomphe.

Au printemps 1841, Chopin donne, de nouveau chez Pleyel, un concert magistral que Franz Liszt (avec qui il domine maintenant le Paris pianistique de l'époque) commente le lendemain dans la Gazette musicale. Occupé par d'autres activités et n’appréciant pas, contrairement à Liszt, jouer en public, il ne donnera pas de concerts dans les années suivantes. Sand, lors de la préparation du concert, écrit à Pauline Viardot :

« Il ne veut pas d'affiches, il ne veut pas de programmes, il ne veut pas de trop nombreux public. Il ne veut pas qu'on en parle. Il est effrayé de tant de choses, que je lui propose de jouer sans chandelles, sans auditeurs, sur un piano muet. »

Il préfère jouer pour ses amis au cours des nombreuses soirées passées à son appartement de la rue Pigalle. Parmi les invités et musiciens de ces concerts privés, se trouvent Sainte-BeuveMickiewiczMarie PoznanskaDelacroix, Berlioz, ainsi que nombre d'exilés polonais. Des témoignages sur ces concerts privés, joués à la faible lueur de bougies dans le coin sombre du petit salon, sont parvenus jusqu'à nous : « Ses regards s’animaient d'un éclat fébrile, ses lèvres s'empourpraient d'un rouge sanglant, son souffle devenait plus court. Il sentait, nous sentions que quelque chose de sa vie s'écoulait avec les sons. »

Son ultime concert à Paris, un immense succès malgré son état d'affaiblissement, a lieu le 16 février 1848 ; d'après les nombreux commentaires de ce moment historique, il s'agit d'un instant fabuleux.

George Sand

« Le seul malheur consiste en ceci : que nous sortons de l’atelier d’un maître célèbre, quelque Stradivarius sui generis, qui n’est plus là pour nous raccommoder. Des mains habiles ne savent pas tirer de nous des sons nouveaux, et nous refoulons au fond de nous-mêmes ce que personne ne sait tirer, faute d’un luthier. »

De 1838 à 1847, il est le compagnon de l'écrivain George Sand, 34 ans, deux enfants, fortunée de naissance. En outre, le succès de ses nombreux ouvrages lui assure une totale indépendance familiale et financière. Ils mènent ensemble une vie mondaine, nourris d'une admiration réciproque. Chopin a 28 ans. Les deux artistes se rencontrèrent pour la première fois par hasard fin octobre 1836 à l’Hôtel de France, 23 rue Laffitte à Paris lors d'une réception donnée par Liszt et Marie d'Agoult. De ce premier contact, Chopin dit le soir même à son ami Hiller, présent lui-aussi : « Qu'elle est antipathique, cette Sand ! Est-ce bien une femme ? J'arrive à en douter ». Par la suite, Chopin et Sand se fréquentèrent à Paris de temps en temps, puis de plus en plus. Chopin sortant de sa déception avec Maria Wodzińska et George Sand de sa relation avec Michel de Bourges, la souffrance en amour fut leur premier lien. Notons que George Sand hésita longtemps avant de se lancer dans une relation avec le pianiste. Elle écrivit à cette époque une lettre immense et complexe (5 000 mots) à son ami Albert Grzymalda en date de fin mai 1838 dans laquelle l’écrivaine met à nu sa passion pour Chopin et exprime le principal but d’une idylle avec le pianiste: « S’il est heureux ou doit être heureux par elle [Marie Wodzinska], laissez-le faire. S’il doit être malheureux, empêchez-le. S’il peut être heureux par moi sans être malheureux avec elle, il faut que nous nous évitions et qu’il m’oublie. Il n’y a pas à sortir de ces quatre points. Je serai forte pour cela, je vous le promets, car il s’agit de lui, et si je n’ai pas grande vertu pour moi-même, j’ai grand dévouement pour ceux que j’aime… »

Au début de leur relation, Chopin était âgé de 28 ans, mais semblait bien plus jeune, George avait 34 ans. D'après ses correspondances de l’époque, l’amour de George Sand pour Chopin frôlait le « maternel », la bonté « pélicane » ; l’auteur parlait de « faire son devoir ». Tout cela tombait à merveille puisque Chopin, vu son état de santé, avait grand besoin de soins. Ils restent ensemble neuf ans.

En quête de solitude, le jeune couple décide de voyager. En novembre 1838, ils partent séjourner à Majorque, dans les îles Baléares, avec les deux enfants de George Sand, Solange et Maurice. Chopin décide de cacher son voyage (seuls ses amis les plus proches, Fontana et Matuszinski, sont au courant). Le couple vivra d’abord dans la « maison du vent », une villa située à Establiments, pour 100 francs par mois. Après un début de séjour très agréable, Frédéric est atteint d'une bronchite à l'arrivée de l'hiver et les médecins s'aperçoivent qu'il est tuberculeux ; ils doivent quitter la villa et se réfugient dans de mauvaises conditions au monastère de Valldemossa, dans un trois pièces avec un jardin.

Il y compose, entre autres, son cycle des 24 Préludes, op. 28 et sa 2e Ballade, mais sa santé se dégrade considérablement malgré les soins et le dévouement de Sand. Ils rentrent en France avant la date prévue à l'origine et séjournent un moment à Marseille, au moment où le corps d'Adolphe Nourrit y arrive de Naples (cf. supra, concert d'avril 1839). Il retrouve une meilleure santé ; en mai, ils vont passer quelques jours à Gênes, puis rentrent à Nohant (Indre), où se trouve la résidence de campagne de George Sand, non loin de La Châtre.

Si l'enthousiasme pour la poésie de l'endroit domine le début de leur séjour, la mauvaise santé de Chopin (qui ne s'adapte pas au climat, ne supporte pas la nourriture du pays et n'est pas vraiment aidé par la médecine locale) oblige George à lui faire la cuisine, à le soigner. La femme, pendant cette période, s'occupe énormément de l'homme qu'elle aime. Le rôle maternel de la romancière se dessine peu à peu dans cette retraite…

L'image la plus exacte à garder de cette période de la relation des deux artistes est l'étape de grand travail qu'elle représente pour chacun (Chopin compose ici ses Préludes), ainsi que l'isolement oppressant de la chartreuse. Le temps est souvent exécrable et la population peu accueillante envers le couple (leur domestique les abandonne, jurant qu'ils sont pestiférés).

La lettre que George Sand écrivit à Mme Marliani, à l'époque de leur retour en France, est une source utile pour montrer l'état des deux amoureux à la fin de leur séjour en Espagne : « Enfin, chère, me voici en France… Un mois de plus et nous mourrions en Espagne, Chopin et moi ; lui de mélancolie et de dégoût, moi de colère et d’indignation. Ils m'ont blessée dans l'endroit le plus sensible de mon cœur, ils ont percé à coups d’épingles un être souffrant sous mes yeux, jamais je ne leur pardonnerai et si j'écris sur eux, ce sera avec du fiel. »

Comme le dira plus tard Guy de Pourtalès sur la lune de miel des deux artistes à la chartreuse : « […]on pouvait se demander si la Chartreuse n'était pas une sorte de purgatoire, d'où Sand explorait les enfers tandis que le malade se sentait déjà monter vers le Ciel ».

De 1839 à 1846, Chopin passe sept étés à Nohant (1839 et de 1841 à 1846). C'est une période heureuse pour Chopin qui y compose la majeure partie de ses œuvres, dont quelques-unes des plus importantes: la Polonaise héroïque, op. 53, la 4e Ballade, la Berceuse op. 57, la Sonate op. 58, la Barcarolle, op. 60, deux des dernières Valses op. 64 et la Sonate pour piano et violoncelle op.65.

Nohant est un cadre à la fois studieux et ludique. George Sand passe ses nuits à écrire, dort le matin et entretient une activité sociale l'après-midi et le soir. Outre le piano et la composition — il accompagne parfois Pauline Viardot —, Chopin « excellait dans la pantomime, la mise en scène de charades ou de saynètes comiques ou satiriques qu'il accompagnait au piano. »

Mais, au mois de juillet 1847, le couple qui, depuis un certain temps, ne connaissait plus la passion des débuts, se sépare. La maladie de Chopin pèse depuis longtemps sur leur relation physique : « Il y a sept ans que je vis comme une vierge avec lui et avec les autres », écrit Sand à leur ami Albert Grzymalda en mai 1847. Chopin prend de plus le parti de Solange d'abord contre Augustine Brault, « fille adoptive » de Sand, puis dans le conflit familial au sujet de son mariage avec le sculpteur Auguste Clésinger. La rupture est consommée et il ne reverra George Sand qu'une seule fois, par hasard, en avril 1848, mais restera jusqu'à la fin de sa vie très proche de Solange et de son mari.

À partir de 1842, Chopin, dont l'état de santé va en s'aggravant, subit coup sur coup trois chocs importants. Au printemps 1842, Jan Matuszyński, son ami d'enfance, médecin, lui aussi exilé à Paris depuis 1834, meurt des suites de la tuberculose à seulement 33 ans. Chopin le veille jusqu'au dernier jour et sa mort est un coup terrible pour lui. Sand en rend compte dans une lettre à Pauline Viardot : Chopin « a été fort, courageux et dévoué […] mais après il a été brisé ». Puis vient l'annonce de la mort de Wojciech Żywny, son premier professeur de musique, resté un ami de ses parents ; enfin, au mois de mai 1844, son père s'éteint à Varsovie. Avant de mourir, il a demandé avec insistance à ses proches de faire ouvrir son corps avant de l'inhumer, de peur de subir le sort de ceux qui se réveillent dans leur tombe. Cette préoccupation hantera également Chopin à la fin de sa vie.

La dépression de Chopin à cette époque est inquiétante ; il écrit pourtant aux siens pour essayer de les rassurer : « J'ai déjà survécu à tant de gens plus jeunes et plus forts que moi qu'il me semble être éternel… Ne vous inquiétez jamais de moi : Dieu étend sur moi sa grâce »

Les hivers qui suivent sont de plus en plus difficiles à supporter. Les écrits de George Sand montrent que Chopin décline de façon évidente… Entre la grippe qui l'abat pendant l'hiver 1845 et le printemps 1846, et la phtisie qui progresse, le musicien est de plus en plus affaibli.

Après la rupture douloureuse avec George Sand en 1847, son état de santé se dégrade rapidement. Il fait tout de même une dernière tournée de sept mois en Angleterre et en Écosse, organisée par son élève Jane Stirling, dédicataire des Nocturnes, opus 55. Ce voyage est pour lui épuisant physiquement et moralement.

Chopin arrive à Londres le 20 avril 1848 ; la forte pollution par le charbon de cette ville n'est pas favorable à son état de santé. Il a malgré tout la joie — outre de revoir Berlioz Kalkbrenner, Osbborne, Pauline Viardot — de rencontrer Charles Dickens, mais

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