Liste des produits et biographie de Gene AMMONS

Gene AMMONS
Musicien américain saxophoniste de jazz

GENE AMMONS

 

Traitant de l'avènement des saxophonistes ténors modernes, dans un chapitre de Histoires du saxophone  intitulé “Les ténors, le passage au bebop”, nous n'avions pas hésité à présenter Gene Ammons (entre Teddy Edwards et James Moody), non sans préciser qu'il avait "grandi dans un environnement jazzistique assez traditionnel , son père était Albert Ammons, le pianiste de boogie-woogie." De la relation musicale du père à l'enfant nous présentons ici un témoignage, le temps d'une séance à Chicago en 1947 (cf. Albert Ammons 1936-1947 EPM/Jazz Archives 159142, présenté par Jacques Morgantini, où figurent les deux autres titres gravés ce jour-là). Le fils Ammons (1925-1974), natif de Chicago, débuta comme clarinettiste et suivit les cours de Walter Dyett, légendaire professeur à la Du Sable High School, qui forma une pléiade de jazzmen de premier plan, dont Nat King Cole, Von Freeman, Ray Nance, Benny Green, Johnny Griffin, Dorothy Donegan, Ahmad Jamal, Richard Davis.

Ensuite, Ammons se trouva rapidement happé par le maelström du jazz moderne puisque dès 1944, il rejoignit les rangs du grand orchestre de Billy Eckstine, où une cohorte de jeunes musiciens commençait à redessiner le visage du jazz. À ses côtés, dans la section de saxophones, se succédèrent Dexter Gordon (cf. ici-même, le chase  de ténors sur Blowing The Blues Away , réputé être la première bataille de ténors de l'histoire du jazz), Wardell Gray, Lucky Thompson et Budd Johnson. Gene Ammons ne perdit jamais sa position de ténor vedette de l'orchestre où il demeura jusqu'en 1947, ce qui en dit long sur sa stature. Il était une sorte de modèle de ténor au "gros son" et même Arnett Cobb en parla en ses termes, rappelant que Lionel Hampton lui avait dit de s'en inspirer.

Ammons penchait donc nettement du côté des ténors velus à la Herschel Evans, mais à l'instar de ce dernier — le ténor le plus souvent associé à Lester Young au sein de l'orchestre de Count Basie — la lestérité avait pénétré son jeu. Chez Ammons et bien d'autres ténors de sa génération, la "douceur" lestérienne tempéra la rudesse de la jeunesse (même s'il ne s'agissait que d'une parure stylistique). D'ailleurs chez Woody Herman dès 1949, Ammons remplacerait Stan Getz, ce qui ne trahit pas un déficit de virilité, mais une inflexion plus sensible de son style.

Du passage d'Ammons chez Billy Eckstine, nous avons conservé, outre le chase  avec Gordon, quelques remarquables témoignages de son art de soliste. Love Me Or Leave Me, sur un arrangement de Gerry Valentine, illustre les audaces de l'orchestre en public (ce que ses disques ne révèlent pas forcément) et le solo de Gene Ammons, utilisant quelques tours lestériens, est aussi remarquable et mordant que celui de Fats Navarro (stupéfiant de facilité comme toujours). Ammons est également bien en évidence sur I Love The Rhythm In A Riff, où Billy Eckstine se montre un héritier du style vocal de Cab Calloway. Second Balcony Jump, thème associé à Earl Hines, met surtout en valeur le côté rugueux de Gene Ammons. Oo Bop Sh'Bam  est une œuvre très gillespienne où le chorus de ténor apparaît comme une sorte de sommet, très représentatif de l'autorité de Gene Ammons, parfaite illustration de la place centrale qu'il occupait dans l'orchestre.

La première séance sous le nom de Gene Ammons eut lieu à Chicago en juin 1947. Il avait réuni pour la circonstance un petit ensemble, alignant une rythmique et un trompettiste et avait confié les arrangements à un certain Gene Stone. On notera la présence de Gene Wright, l'homme qui deviendrait "le" bassiste de Dave Brubeck quelques années plus tard. La séance placée sous le signe du bebop semble également relever d'un esprit très hamptonien. Concentration, dont l'intro a une carburation moderne, se révèle une machine à chauffer dont les grandes formations dirigées par le vibraphoniste seraient la matrice, dévolues à un style de jazz efficace, friand de saxos ténors déménageurs. Red Top, le premier grand succès de Gene Ammons, offre un climat plus détendu, un tempo plus souple et plus lent, et fait appel à un plaisant gimmick vocal (deux versions furent enregistrées, la première sans vocaux) ; sans doute permet-il de juger de la richesse du registre ammonsien. Même s'il est traité sur le mode du divertissement, il présente un des rares exemples de style vocal bebop "collectif" (à plusieurs voix), assez rudimentaire si l'on se réfère aux véritables audaces du bebop, mais il dégage un charme indéniable. Plus tard, King Pleasure fit un tube de ce morceau. Idaho  est également servi par un arrangement de Gene Stone et confirme le talent de bopper du trompettiste Gail Brockman avec qui Gene Ammons avait travaillé dans les rangs de l'orchestre de Billy Eckstine ; Ammons y livre un solo très caractéristique de sa manière, de ce rentre-dedans qui n'exclue ni la finesse ni la sensibilité.

C'est sous la direction de son père que Gene Ammons retrouva le chemin des studios, le 6 août 1947. Les deux morceaux  sélectionnés par nos soins annoncent bien la couleur, blues et  boogie-woogie, le saxophone ne fait pas dans la dentelle et le reste de la formation est visiblement rôdé à ce style de musique ; on a là les prémisses du rock 'n' roll (les hachures de la guitare d'Ike Perkins, les grognements du saxo). Remarquons, à la suite de Dan Morgenstern, que le premier solo de Gene dans S.P. Blues  porte la marque de Lester Young et, à un moindre titre, de Don Byas. Cette parenthèse dans l'œuvre du jeune Gene aura au moins servi à rappeler où se trouvaient ses racines. Pour la séance du 23 octobre 1947, Ammons retrouva son orchestre de juin, y ajoutant le saxophone (alto et baryton) de Ernest McDonald (que l'on ne connaît que grâce aux faces enregistrées pour Gene Ammons) et utilisant encore des arrangements de George Stone. Junior Mance avait pris la place de James Craig et Earl Coleman, un des chanteurs favoris de Charlie Parker, était de la partie. Le boppisant McDonald's Sprout ouvre brillamment le feu, lançant d'abord le ténor d'Ammons, la trompette de Brockman puis, fugitivement, le baryton d'Ernest McDonald (dans un style proche de Leo Parker). Hold That Money, un blues de format classique, donne longuement la parole à Earl Coleman (appuyé par les obligatos de trompette puis de baryton). De facture bebop, Shermanski  aligne avec un bonheur communicatif  les solos d'Ammons, de Brockman (gillespien), de McDonald (au baryton), de Junior Mance, alors connu sous le prénom de Julius, fugitivement powellien. Outre le ténor brûlant du chef, Harold The Fox  permet d'entendre, plus longuement le piano de Mance qui mêle à l'orthodoxie powellienne des accords assénés, préfiguration du style soul qui fera son succès quelque dix ans plus tard.

Une composition de l'arrangeur A.K. Salim, baptisée Jeet Jet, dérivée de Indiana, offre un superbe exemple de style bebop et la petite formation réunie par Gene Ammons donne le meilleur d'elle-même. Les solos de McDonald (à l'alto), de Brockman, d'Ammons lui-même (plus dextergordonien qu'à l'ordinaire) sont fort incisifs. Odd-en-dow, autre œuvre de A.K. Salim, ne manque pas non plus de jus, même si le canevas bluesy est plus convenu. Blowing The Family Jewells, sur un tempo rapide, montre bien l'abattage de Gene Ammons, son jeu suscite les mêmes réflexions que celles que nous avons émises à propos de Idaho. Sugar Coated, encore une composition de A.K. Salim, trahit l'influence de l'art d'arrangeur de Tadd Dameron (contaminant d'ailleurs le jeu de piano de Junior Mance). Gene Ammons semble très à l'aise dans ce climat harmonique relativement sophistiqué. Mais tout commence et finit par le blues et Dues In Blues, au climat léger, inspire particulièrement les souffleurs.

Toutes ces faces, couvrant une période de moins de trois ans, montrent bien que Gene Ammons fut un des tout premiers ténors modernes, un novateur réalisant avec beaucoup d'aisance la synthèse entre les tendances les plus modernes du jazz, celui qui conjugua les audaces lestériennes avec les nouveautés du bebop, tout en s'appuyant sur les racines du blues. Il anticipait de dix ans tout le courant dit soul ou funky qui apporterait une fraîcheur nouvelle au jazz au milieu des années 50, en lui communiquant un lyrisme qui en appellerait à la fois à son passé et à une veine populaire.

  

François Billard (co-auteur avec Yves Billard de Histoires du saxophone)

 

                         

GENE AMMONS

 

 

Discussing the advent of modern tenor saxophonists in a chapter of Histoires du saxophone entitled “Tenors, the move to bebop”, Yves Billard and myself did not hesitate to include Gene Ammons (between Teddy Edwards and James Moody), although we pointed out that he had grown up in a fairly traditional jazz environment as his father was Albert Ammons, the boogie-woogie pianist. The track from the 1947 Chicago session included here is an example of the musical relationship that existed between father and son (cf. Albert Ammons, 1936-1947, EPM/Jazz Archives 159142 featuring the other two titles from this session). The younger Ammons (1925-1974), born in Chicago, started out as a clarinettist and had lessons with Walter Dyett, the legendary teacher at Du Sable High School, who taught a host of first rate jazz men, including Nat King Cole, Von Freeman, Ray Nance, Benny Green, Johnny Griffin, Dorothy Donegan, Ahmad Jamal and Richard Davis.

Ammons soon found himself swept up in the maelstrom of modern jazz for, by 1944, when still only nineteen, he had joined the ranks of Billy Eckstine’s big band, where a cohort of young musicians were in the process of changing the face of jazz. Alongside him in the sax section, first came Dexter Gordon (listen to that tenor chase on Blowing The Blues Away, reputedly the first tenor cutting contest in the history of jazz), followed by Wardell Gray, Lucky Thompson and Budd Johnson. However, Gene Ammons remained the principal tenor soloist in the band, staying there until 1947. He epitomised the “big sound” tenor player. Even Arnett Cobb described him in these terms, saying that Lionel Hampton told him that he had influenced his playing.

Ammons’ rich, powerful tone was clearly in the line of Herschel Evans but, unlike the latter—most frequently associated with Lester Young in Count Basie’s orchestra—he also adopted Lester’s lighter touch that tempered his youthful hot-headedness as it did that of many other tenors of his generation. The fact that Ammons replaced Stan Getz in Woody Herman’s band in 1949 shows to what extent he had developed a personal style.

On this CD there are some tracks from his stint with Billy Eckstine which, in addition to the chase with Gordon, include some remarkable solos. Love Me Or Leave Me, arranged by Gerry Valentine and recorded live, shows what the orchestra was really capable of, something that is not always evident on studio recordings. Gene Ammons’ solo, with its echoes of Lester, is as outstanding as the one by the always laid-back Fats Navarro. Ammons also shines on I Love The Rhythm In A Riff, with its Cab Calloway-type vocal from Billy Eckstine. While his playing is more rugged on Second Balcony Jump, a theme associated with Earl Hines, Oo Bop Sh’Bam is very Gillespian, the tenor solo being the pivotal point, a perfect example of the central place he occupied in the band.

Ammons’ first session under his own name took place in Chicago in June 1947. He got together a small formation, including a rhythm section and a trumpeter, and entrusted the arrangements to a certain George Stone. Also present was Gene Wright, destined to become “the” Dave Brubeck bass player a few years later. This bebop-oriented session also bore Hampton’s mark. The modern introduction to Concentration is the sort of warm-up exercise that the vibraphonist often used with his big band formations, opening the way for the unrestrained, ebullient tenors. Red Top, Gene Ammons’ first big hit, is more laid back, taken at a slower tempo that allows him to explore the full richness of his range (two versions were recorded, the first without vocal, the other with). Although in a lighter vein, it is one of the rare examples of a “collective” bebop vocal (several voices) which is part of its undeniable charm. Later King Pleasure would turn the piece into a popular hit. Idaho, also arranged by Gene Stone, confirms the bop talents of trumpeter Gail Brockman whom Gene Ammons had worked with in his Billy Eckstine days and features a characteristic Ammons solo.

Gene next found himself in the studios on 6 August 1947, this time under the leadership of his father for a blues and boogie-woogie session. The saxophone is very much to the fore and the rest of the group is obviously very familiar with this type of music with its hints of rock ‘n’ roll (Ike Perkins’ trenchant guitar, the growling sax). Following Dan Morgenstern’s intervention on S.P. Blues, Ammons’ first solo bears the Lester Young hallmark and, to a lesser extent, that of Don Byas. This session at least serves to remind us of where the young Gene’s roots were.

For the 23 October 1947 session Ammons recalled the musicians he had used the previous June with the addition of Ernest McDonald on alto and baritone sax (whom we know only through the sides he recorded for Ammons). George Stone again provided the arrangements. Junior Mance replaced James Craig and Earl Coleman, one of Charlie Parker’s favourite singers, was also present. The opening boppish McDonald’s Sprout is a brilliant vehicle for Ammons’ tenor, Brockman’s trumpet and McDonald’s baritone (in a style similar to that of Leo Parker). The classic blues Hold That Money features Earl Coleman (backed by trumpet and baritone sax). Shermanski presents solos by Ammons, Brockman (Gillespian), McDonald (on baritone) and Junior Mance (previously known as Julius) with his occasional echoes of Powell. Mance’s piano on Harold The Fox already reveals traces of the soul style with which he would make his name ten years later.

Jeet Jet, composed by arranger A.K. Salim and based on Indiana, is a superb example of the best that Gene Ammons’ small band had to offer: the solos by McDonald (on alto), Brockman and Ammons himself (playing more like Dexter Gordon than usual) are brilliant. Odd-en-dow, another Salim composition, although more conventionally bluesy, does not lack punch either. The up-tempo Blowing The Family Jewels again reveals Ammons’ cutting edge, while Salim’s Sugar Coated is reminiscent of some of Tadd Dameron’s arrangements (the same goes for Junior Mance’s piano playing). Gene Ammons appears completely at ease in this relatively sophisticated harmonic atmosphere before getting back to the blues with Dues In Blues.

All these tracks, covering a period of less than three years, prove that Gene Ammons was one of the first modern tenor saxophonists, an innovator who had no problem in creating a synthesis between modern jazz and bebop tendencies, while never losing touch with his blues roots. He was ten years ahead of the advent of soul music that would become popular in the mid-50s—also something new in the jazz world but that still retained echoes of its past.

 

Adapted from the French by Joyce Waterhouse

 

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