Gilles VIGNEAULT / ANTHOLOGIE - MON PAYS
Artiste Gilles VIGNEAULT |
Type de musique VARIÉTÉS |
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Artiste Gilles VIGNEAULT |
Type de musique VARIÉTÉS |
Gilles Vigneault
Vu de très loin, de notre quai en bord d’océan, ce n’est que du blanc, des lacs gelés et des forêts, qu’on imagine à perte de vue. Un paysage pris dans les rigueurs de l’hiver, le blizzard, la froidure. « Dans la blanche cérémonie / Où la neige au vent se marie... »
Peu d’entre nous ont fait le long chemin qui mène à Natashquan, dans le nord du nord québécois, et nos représentations ne sont qu’approximatives cartes postales. Mais, à l’écouter nous le conter, nous le chanter, nous le faire vivre, on se plaît dans notre tête à y déambuler, emmitouflés de grosses laines et d’une parka (en France, on parle aussi d’une... « canadienne ») comme il se doit, à presque re-connaître ses habitants, les saluer d’un sourire… Ses chansons, les personnages et situations qui les animent, sont plus vrais que le virtuel d’aujourd’hui, comme une réalité augmentée d’avant l’heure. Nous savons aussi leur lutte pour cette langue française si forte et fragile à la fois, si belle, toujours malmenée, menacée, combat sans cesse recommencé. Et cet accent, ce parler si particulier, entre tous chantant.
Nous aussi, nous avons un village, gaulois celui-là, qui résiste encore et toujours à l’envahisseur. Avec ses personnages hauts en couleurs, qui aiment à se battre puis à faire ripaille, vendre leur poisson qu’on dit pas frais, tailler des menhirs et collectionner les casques des romains qu’il dégomment à coups de poings. Mauvaise pioche, le barde y est ici muselé, interdit d’exercer, comme non-essentiel.
Autre lieu donc, six heures de décalage horaire, autre versant de l’horizon, autre village que celui de Gilles Vigneault, ce fils de marin et d’institutrice qui, après avoir été professeur d’algèbre, de physique-chimie puis de français, animateur de télévision, s’est imposé comme poète, conteur, « barde », artiste de music-hall. Et chansonnier, au sens « québécois » du terme. Qui, à nos oreilles, à notre imagination, fait revivre les gens de son pays de poudrerie, nous les rend étonnement proches.
Pas de santons en ce village, non, mais des personnages bien vivants, avec leur lot d’amour, d’espoir, de rires et de chagrins, de labeurs et de drames. Berlu qui vit de beau temps à crédit, Gros Pierre raillé de tout le village pour cause d’amour, Zidor le prospecteur l’or dans la caboche et rien sous la dent, le grand Jos Monferrand, Jack Monoloy l’indien qui aime une blanche, Jean du Sud qui désormais se promène sur le fond de l’eau… « Les gens de mon pays / Ce sont des gens de parole / Et gens de causerie […] C’est parfois vérité / Et c’est parfois mensonge... » Autant de portraits, de tranches de vies faites d’amour, d’aventures, de bonheurs et de malheurs, de conditions sociales, de convictions. Mais qu’on ne s’y trompe pas : parlant des autres, Gilles Vigneault parle aussi de nous.
Par lui, c’est une invraisemblable galerie de personnages, qu’il n’aura de cesse d’enrichir au fil du temps, accueillant en son sein tant La vieille Margot que Mademoiselle Émilie, Tante Irène, Charlie-Jos, Le petit bonhomme, Madame Adrienne, Théo l’orphelin et d’autres encore. Si ce coffret en était l’exact recensement, il faudrait faire place à bien plus de disques…
C’est ainsi, par l’évocation des Gens de son pays, que les Français l’ont découvert, à l’automne 1966 à Bobino. Avec, dès le début, cette voix approximative, paradoxalement d’une grande justesse au sens que le propos l’est. Et déjà le pied dansant… Le quotidien L’Aurore publie le portrait de ce chanteur écrit par le poète Henry Pichette : « Sa voix est éraillée, elle cailloute, elle rafale, feule, se fêle. Il a un chat sauvage dans la gorge. Il a un nez de chouette épervière. On dirait que les lames du nordet ont façonné sa face. Il est sec comme un coureur de bois. » Un album paraît, fait d’une majorité de titres qui depuis longtemps ont gagné leurs galons au Québec où ce disque « enregistré à Paris » est déjà le sixième.
À Québec fleurissaient depuis quelques années des « boîtes à chansons », calquées sur le modèle de ses inspiratrices parisiennes de la « rive gauche » et particulièrement du cabaret éponyme. À l’unisson de la « révolution tranquille » (qui succède au long règne, de la « grande noirceur » du premier ministre québécois Maurice Duplessis), la chanson y prend l’air et c’est presque grand vent. Vigneault fut de ce puissant souffle, où on trouve des Claude Léveillée, Clémence Des Rochers, Pauline Julien, Raymond Lévesque (à qui on doit déjà Quand les hommes vivront d’amour, chanson écrite à Paris en pleine guerre d’Algérie) et autre Jean-Pierre Ferland. Deux mois après ses débuts, en 1960, Gilles Vigneault chante en première partie de Félix Leclerc ; l’élève de trente-deux ans et son maître sur une même scène… Deux ans plus tard, pour ses premières chansons gravées dans la cire – toutes devenues de grands classiques –, il se présente ainsi au verso de la pochette : « Une biographie ? Je ne suis pas mort. Étudié une quinzaine d’années. Enseigné durant sept autres. Ramé, chassé, dansé, portagé, couru la grève, débardé, ru et pleuré, cueilli béris, bleuets, framboises, aimé, prié, parlé, menti. Écrit cent chansons et deux livres. Et l’intention de continuer. » Il continuera, avec plus de quatre cent chansons, plus de quarante livres...
Le premier disque français de 1966 fut l’entame d’une longue carrière hexagonale, d’une histoire d’amour. Avec l’artiste qu’il est et, par lui, avec un pays.
S’il convoque le tendre souvenir des gens de son village de toujours qu’est Natashquan, s’il est fidèle à l’héritage du passé, s’il perpétue la sagesse de ses ancêtres, Gilles Vigneault chante d’abord son « pays » et ce qui le compose, le réel comme l’immatériel : cette planète et ce qu’on en fait, son exploitation, cette course aux profits au détriment de l’espace, des fragiles équilibres. Ses chansons parlent de la terre, de l’humus, des graines qu’on lui confie, des arbres qui poussent, des fruits qu’ils portent. Elles nous parlent depuis tout le temps de l’air et du vent, des cerfs-volants, de la pluie et de la neige, du soleil, des cours d’eau, du sable, du rythme et de la magie des saisons. Elles se soucient de notre Terre et de son devenir, nous parlent d’écologie depuis bien avant que ce mot intègre nos dictionnaires, entre dans nos préoccupations. Et cachent dedans leurs vers de sombres craintes depuis bien avant que nous en ayons pris conscience, que nous en ayons peur.
Même si l’idée du pays prédomine, y compris dans sa question nationale (« Tu peux ravaler ta romance / J’ai tout compris, je pense / Qu’on n’est plus du même pays... » chante-t-il à l’adresse du Canada anglophone et des fédéralistes), le répertoire de Gilles Vigneault est en lui-même un écosystème universel où l’homme et l’animal, la nature et tous les éléments sont indissociables, harmonie entre les êtres et les choses. Œuvre foisonnante, cohérente, dont Natashquan, sans nullement vouloir se prendre pour le nombril du monde, est viscéralement l’épicentre. C’est un monde non forcément rudimentaire mais sans triche ni faux-semblants, qui « a sa peau pour tuxedo » et ne vocalise jamais pour rien. Une chanson vigilante, soucieuse, attentive.
Chanson du bien vivre, du vivre-ensemble, qui se prolonge puis s’achève dans la danse, en habits du dimanche : « On s’est trouvé un violon / Un salon, des partenaires / Puis là la soirée commence / C’était vers sept heures et demie. » Dans ce village planétaire de Natashquan, tout semble finir par des chansons et par des danses. Que je sache, quelles que soient les latitude et longitude, on n’a jamais fait mieux. Et « Swing la baquaise dans l’fond d’la boîte à bois ! »
Michel Kemper