Liste des produits et biographie de Wardell GRAY

Wardell GRAY
Musicien de Jazz américain, saxophoniste

Wardell Gray “Small Combos” (1946-1949).

 Au sein de l’orchestre de Earl Hines, le jeu de Wardell Gray paraissait déjà largement défini, sa sonorité très identifiable, même si son allégeance au style de Lester Young transparaissait. Il avait commencé sa carrière professionnelle au début des années 1940 et fut engagé en 1943 dans le grand orchestre de Earl Hines, période fort fertile où l’on trouvait dans ses rangs Charlie Parker et Dizzy Gillespie ; la grève des enregistrements qui sévissait alors nous prive de précieux témoignages. Wardell Gray ne devait pas manquer de talent qui passa successivement chez Benny Carter, en 1946, Billy Eckstine l’année suivante, à un moment où l’ensemble du chanteur avait en quelque sorte pris la succession de celui de Hines (on y relève les noms de  Dizzy Gillespie et d’Oscar Pettiford) et portait haut le flambeau du jazz moderne. Gray rallierait plus tard les orchestres de Benny Goodman puis de Count Basie, mais nous nous intéressons présentement à sa grande période freelance, celle où il monta des petits ensembles ou enregistra avec d’autres petits groupes. Établi à Los Angeles depuis peu, il grava cinq titres le 23 novembre 1946, à la tête d’une petite formation composée de musiciens parmi les plus appréciés de Californie, le bassiste Red Callender, le batteur Harold ‘Doc’ West et le pianiste, Dodo Marmarosa, d’évidence un des plus créateurs de son temps. D’entrée, Dell’s Bells  marque l’appartenance de Gray à la “nouvelle vague”, son lestérisme est nettement empreint de tournures bebop et les accords intrigants martelés par Marmarosa accentuent l’impression de modernité ; le court solo du pianiste est un modèle du genre. One For Prez  placé par son titre sous la tutelle explicite de Young ne manque pas non plus d’aspérités. Demètre Ioakimidis, dont les avis sont souvent remarquables, consacra une étude à Wardell Gray en 1959 (Jazz Hot , n° de septembre), rappelant qu’en 1947 (donc pratiquement à l’époque qui nous occupe) trois saxophonistes ténor se partageaient les faveurs du grand public : Charlie Ventura, Vido Musso et Flip Phillips. Wardell Gray et Dexter Gordon étaient loin de jouir d’une aura comparable, en revanche ils marquaient déjà une rupture avec l’univers post-hawkinsien (auquel appartenaient les trois “stars”), sans pour autant relever d’un strict lestérisme (nous n’en sommes pas encore aux “Brothers” de Woody Herman). Parmi les représentants les plus marquants d’un renouveau du saxophone ténor, nommons également Allen Eager et Stan Getz (comme nous l’expliquions, pièce à l’appui dans un récent “Jazz Archives” consacré à ce musicien), tous deux entretenant déjà un rapport significatif au bebop . On peut constater par ailleurs une troublante homologie entre les trajectoires de Getz et de Gray puisque tous deux enregistrèrent leurs premières faces significatives à la même époque, (même si pour Getz il s’agissait d’une séance dirigée par Kai Winding, fin 1945 pour être précis), exemples de protobop. En outre, tous deux passèrent chez Goodman, entre 1945 et 1946 pour Getz, 1948 pour Gray. Tous deux participèrent en 1947 aux concerts Gene Norman Just Jazz.

Peut-on déjà parler de saxophone ténor bebop ? Le ténor marquait un retard relatif par rapport à l’alto et c’est à ce seul instrument nous limitons ici notre analyse. Outre les hommes que nous venons de citer, il semblerait qu’à la fin 1946 on ne trouvât pas de véritables boppers, plutôt de saxophonistes en pleine mutation (ou mue), comme James Moody et Charlie Rouse, voire Dexter Gordon. On pourrait aussi citer Teddy Edwards, qui s’autoproclama “le premier ténor bebop”. L’intérêt de l’apport de Wardell Gray pourrait être évalué à la lumière de ce manque, de cette quasi-absence et, à cet égard, il nous paraît devancer, même si c’est de peu, tous ses contemporains (Teddy Edwards à part) parce qu’il semble avoir suffisamment assimilé sa filiation pour intégrer avec naturel (sans fébrilité) l’art de Charlie Parker (synonyme de bebop).

Pour reprendre le fil de la séance, dans The Man I Love premier standard et ballade de la séance, dans un registre pourtant éprouvé, Gray fait preuve d’une grande sérénité dans sa subtile entreprise de renouvellement. Tout aussi remarquable, Easy Swing  sur tempo rapide, signé Laguna et probablement l’oeuvre de Wardell Gray, relève du même état d’esprit.

Quelques mois plus tard, en février 1947, Wardell Gray se retrouva convié à enregistrer pour le compte de Charlie Parker, Bird se trouvant alors sur la côte Ouest. La séance fut un complet succès, l’ensemble carburant à la perfection (on y retrouve Marmarosa et Callender) et Parker étant très “relax”. Le premier thème gravé ce jour-là fut Relaxin’ at Camarillo, un blues de Parker, et le solo de Wardell Gray qui emboîte le pas à celui de Bird, démontre son intelligence de la nouvelle musique. Les deux hommes sont sur la même longueur d’onde et l’on ne ressent pas de hiatus entre deux styles de saxophone, à la différence de la séance qui avait réuni Parker et Lucky Thompson un an auparavant.Cheers  appelle les mêmes remarques, de même Carvin’ the Bird. (le 3e titre de la séance, que nous n’avons pas retenu). Peu de temps après, Wardell Gray fut convié en studio par le trompettiste Howard McGhee, déjà présent à la séance dont nous venons de parler. Le répertoire choisi était franchement bebop, superbe florilège (Bebop  de Dizzy Gillespie, une des compositions les plus jubilatoires du répertoire bebop ; Grooving High  également du trompettiste et Hot House  de Tadd Dameron) et Gray s’y montre particulièrement à l’aise  de la première à la dernière note. Une fois encore le contexte orchestral est idéal et McGhee orchestre subtilement les débats, lui qui a sans doute joué un rôle important dans la bonne tenue de cette mini scène bebop californienne, et qui apparaissait comme une sorte d’aîné, s’étant fait connaître dès le début des années 1940 sur la scène du jazz. Dodo Marmarosa tient une fois de plus le piano, l’occasion pour nous de répéter qu’il fut probablement un des plus passionnants et originaux pianistes du bebop, même si son jeu ne se limite pas à cette catégorie stylistique.

La version de 1947 de The Chase, réunissant Dexter Gordon et Wardell Gray, est la première : “The Chase , déclara un jour Dexter Gordon, a peut-être été ce que, Wardell et moi, avons fait de mieux ... Wardell et moi étions très amis (...) à Los Angeles (...) nous nous retrouvions toujours aux mêmes sessions, aux mêmes endroits. En fait, nous jouions très souvent ensemble. On a alors décidé d’officialiser cet état de fait  en fondant notre propre quintette.” (interview réalisée par Jean-Louis Ginibre et Jean Wagner pour Jazz Magazine). En tout cas, la formule des duos de ténors en petite formation ne resta pas lettre morte, citons, entre autres, ceux de Dexter Gordon et Teddy Edwards et, parmi les plus éblouissants, de Zoot Sims et Al Cohn, Warne Marsh et Ted Brown. 

Apparemment habitué au meilleur en matière de pianistes,Wardell Gray, qui venait de s’installer à New York, ne pouvait manquer de solliciter Al Haig, ce qui donna lieu à une séance où Stoned , composition de Gray, fait figure de joyau. On notera que la sonorité du saxophoniste s’était quelque peu durcie.  Peu connus et et pourtant excellentes sont les faces gravées par le septet du pianiste de Tadd Dameron avec Wardell Gray et d’autres musiciens avec lesquels il se produisait régulièrement au Royal Roost. Nous sommes en plein bebop novateur et la seule lecture du personnel en fait foi, Wardell Gray qui fait figure d’invité est parfaitement en phase et l’on goûtera la présence d’un de ses (rares) pairs, le saxophoniste Allen Eager (ordre des solos de ténor : Gray, Eager).  

Al Haig ne manqua pas à son tour d’inviter Gray à participer à une séance d’enregistrement qu’il organisait, en compagnie du guitariste Jimmy Raney, autre novateur. Le premier titre gravé,In a Pich, démarqué de All God Chillun Got Rhythm  donne aussitôt le ton ; sur un tempo vif Gray déroule ses idées avec une aisance confondante. Autre grand moment de la séance, It’s the Talk of a Town, une ballade.

La séance suivante, quelques mois plus tard, fut placée cette fois sous la direction de Gray, Haig étant toujours au piano. Avec une formation complétée par deux des meilleurs spécialistes parmi les boppers, Tommy Potter à la contrebasse et Roy Haynes à la batterie, étaient réunis touss les ingrédients d’une séance merveilleuse. Elle ne manqua pas de l’être, ultime témoignage de cette fin des années 1940, marquée au sceau de la sérénité de l’art de Wardell Gray. 

 

François Billard (co-auteur avec Yves Billard de Histoires du saxophone, Ed. Climats)

 

By the time he was playing with Earl Hines, Wardell Gray already seemed to have carved out a personal style with a distinctive sound, although his debt to Lester Young was still obvious. His professional career started in the early 40s and, in 1943, Earl Hines offered him a place in his big band that already included Charlie Parker and Dizzy Gillespie. Unfortunately, the Pretillo ban has deprived us of what would have undoubtedly been valuable recordings of this fertile period. Gray then did a stint with Benny Carter in 1946, before joining up with Billy Eckstine the following year, at a time when the vocalist’s group had, to a certain extent, taken over from Hines (its ranks including Dizzy Gillespie and Oscar Pettiford) and was carrying the modern jazz torch. Gray later played with the Benny Goodman and Count Basie orchestras, but we are interested here in what might be called his great freelance period, during which he formed small ensembles or recorded with other small groups. Shortly after he moved to Los Angeles, he cut five titles on 23 November 1946, fronting a small formation comprising some of the best Californian musicians: Red Callender on bass, Harold “Doc” West on drums and Dodo Marmarosa, one of the most inventive pianists around at the time. Dell’s Bells immediately reveals Gray’s interest in “new wave” music, his debt to Lester now overlaid with bebop phrasing, while Marmarosa’s intriguing chords add to this impression of modernity, his short piano solo a model of the genre. One For Prez reveals a similar approach. Demètre Ioakimidis devoted an article to Wardell Gray in 1959 in the September issue of Jazz Hot, recalling that in 1947 (the period that interests us here) there were three popular tenor saxophonists: Charlie Ventura, Vido Musso and Flip Phillips. While Wardell Gray and Dexter Gordon lagged way behind in their share of public acclaim, they had already marked a break with the post-Hawkins era (epitomised by the former three) without, however, being really part of the Lester Young cohort (the “Brothers” of Woody Herman were yet to come). Among the most outstanding players of this “new” tenor sax style were Allen Eager and Stan Getz (see a recent Jazz Archives devoted to this musician), both of whom made a significant contribution to bebop. Moreover, there is a strange analogy between the careers of Getz and Gray as they both made their first important recordings, examples of protobop, at the same time (although for Getz this was a session led by Kai Winding, at the end of 1945). Furthermore, both played with Goodman, Getz from 1945 to 1946 and Gray in 1948 and, in 1947, took part in Gene Norman’s Just Jazz concerts.

So was this the beginning of bebop tenor sax? Apart from the musicians already mentioned it appears that, by the end of 1946, there were no true bop tenor players, rather saxophonists in the process of change (or not, as the case may be), such as James Moody and Charlie Rouse, even Dexter Gordon, not forgetting Teddy Edwards, self-proclaimed “first bebop tenor”. Wardell Gray’s contribution has to be seen in the light of this virtual absence of bebop players and, in our opinion, he was slightly ahead of his contemporaries (apart from Teddy Edwards) for he appears to have quite naturally assimilated Charlie Parker’s style (synonymous with bebop).

The session continues with the standard ballad The Man I Love into which Gray, while keeping to the normal register, subtly injects something new. Equally remarkable is the up-tempo Easy Swing, attributed to Laguna and probably written by Gray.

Several months later, in February 1947, Wardell Gray was invited to record with Charlie Parker who was on the West Coast at the time. The session was a huge success, the ensemble jelling perfectly (including Marmarosa and Callender) and a very laid-back Parker. The first title cut was Parker’s blues Relaxin’ At Camarillo on which Gray’s solo, following on from Parker, is clear evidence of his understanding of this new music. The two men are on the same wavelength and there is no clash between the two sax styles, contrary to the session that had teamed up Parker and Lucky Thompson the year before. The same goes for Cheers and Carvin’ The Bird (the third title of the session, not included here). Shortly after, Gray was called back into the studios by trumpeter Howard McGhee (who had been present on the above session) for what turned out to be a real bebop session (Dizzy Gillespie’s Bebop and Grooving High plus Tadd Dameron’s Hot House) with Gray appearing completely at ease from beginning to end. The orchestral backing is again perfect with McGhee cleverly leading the interchanges. He, himself, played an important role on the Californian mini-bebop scene, a sort of elder statesman well-known on the jazz circuit since the early 40s. Dodo Marmarosa is again on piano, probably one of the most passionate and original bebop pianists, although he did not limit himself to this genre. The 1947 version of The Chase, teaming Dexter Gordon and Wardell Gray, is the first. In an interview by Jean-Louis Ginibre and Jean Wagner for Jazz Magazine Dexter Gordon declared: “The Chase was probably the best thing that Wardell and I ever did…Wardell and me were close friends (…) in Los Angeles (…) we were always together at the same sessions, in the same places. We often played together so we decided to make it official and formed our own quintet.” The tenor-duo formula within a small group included, among others, Dexter Gordon and Teddy Edwards and the outstanding Zoot Sims and Al Cohn, Warne Marsh and Ted Brown.

Wardell Gray was used to having the best pianists and, soon after he settled in New York, called on Al Haig for a session on which Gray’s own composition Stoned is a little jewel. The saxophonist had begun to use a slightly harder tone. Also excellent, although less well-known, are the sides cut by pianist Ted Dameron’s septet with Wardell Gray and other musicians with whom he appeared regularly at the Royal Roost. A glance at the personnel is enough to show that this formation had strong bebop leanings but Wardell Gray, guesting with them, appears perfectly at ease alongside one of his few equals on sax, Allen Eager, whose solo precedes that of Gray.

Al Haig, in turn, invited Gray to take part in a session he was organising with guitarist Jimmy Raney, another innovator. The first title cut, In A Pinch, based on All God’s Chillun Got Rhythm, provides the tone immediately, with an up-tempo Gray working out his improvisations with astounding ease. Another highlight of this session is the ballad It’s The Talk Of The Town.

The following session a few months later was this time led by Gray himself with Haig again on piano and two of the best boppers in the business, Tommy Potter on double bass and Roy Haynes on drums, providing the ingredients for a marvellous session. A final testimony from the late 40s to the serene artistry of Wardell Gray.

 

Adapted from the French by Joyce Waterhouse

 

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